La percée de l’intelligence artificielle dans le secteur de l’assurance

La percée de l'intelligence artificielle dans le secteur de l'assurance

Selon l’IDC (International Data Corporation), le montant investi dans le développement de l’intelligence artificielle pourrait dépasser 300 milliards de dollars d’ici 2026. Selon McKinsey, l’usage de l’IA favoriserait la productivité et réduirait les coûts opérationnels de 40% d’ici 2030.

Bien que l’usage des nouvelles technologies de ce type occasionne de nombreux avantages pour les compagnies d’assurance, les risques qui y sont liés sont tout aussi conséquents et les maitriser est indispensable pour assurer une utilisation optimale de l’IA et en faire une avancée majeure.

 
Les avantages de l’intelligence artificielle

Tarification et provisionnement

Grâce à sa capacité à rassembler et traiter un très grand nombre de données, l’intelligence artificielle et ses développements permettent l’amélioration des méthodes de tarification.

L’arrivée du Machine Learning dans la profession a renforcé la précision du traitement des données effectué pour déterminer les polices d’assurance, en rassemblant de très nombreuses données, à la fois internes et externes, et a automatisé leur traitement. Cet outil est déjà bien utilisé dans la tarification des branches d’assurance non-vie et n’est pas un phénomène nouveau dans le secteur.

Le développement de l’IA permet cependant aux assureurs d’avoir accès à des données de sources multiples. Dès lors, la tarification et le développement de nouveaux produits d’assurance personnalisés, voire même de micro-couvertures adaptées à des besoins spécifiques sont des points positifs à l’avancée de l’IA dans le secteur. En effet, grâce à ces multiples données, le risque individuel est mieux prédit et les polices peuvent être tarifées de manière plus précise en augmentant le nombre de paramètres pris en compte dans les modèles. Ces assurances, notamment dans le domaine de l’auto, s’adapteront aux comportements et activités des assurés grâce à une analyse de données plus fine, par exemple via une modélisation dynamique des comportements.

L’utilisation de l’intelligence artificielle connectera en temps réel l’assureur et l’assuré, ce qui aura pour conséquence le développement d’un nouveau business model : des polices d’assurance tarifées, achetées et liées en temps réel.

De plus, le développement de techniques d’intelligence artificielle permet également de mieux étudier les développements de sinistres en portefeuille, permettant de différencier et modéliser les sinistres à développement plus long et d’impacter la stratégie de provisionnement. Ces techniques permettent également de déterminer les sinistres qui coûteront chers le plus rapidement. Ces avancées rendent donc les modèles utilisés de plus en plus précis puisqu’ils tiennent compte des caractéristiques des sinistres, ce qui donne une meilleure modélisation de la partie sévérité de la tarification car la projection des montants futurs restant à payer est plus précise.

 

Prédiction et gestion des sinistres

Outre la tarification, la percée de l’IA peut avoir une contribution significative au niveau de la gestion des sinistres.

Les modèles de Machine Learning développés dans le cadre de la prévision du volume de sinistres sont déjà implémentés dans la méthodologie actuelle. Cependant, l’utilisation de l’IA pourrait permettre une automatisation quasi-complète du processus de gestion. En effet, l’analyse des sinistres pourrait être accélérée, notamment en assurance auto, via le Deep Learning et le traitement des dégâts par le biais d’images provenant d’un smartphone ou la reconnaissance visuelle, en plus des données historiques de l’assureur.

Les algorithmes, nourris par ces données, permettent notamment de prédire les demandes d’indemnisation et de faire de la prévention à ce sujet car ils seront optimisés pour détecter quel assuré est susceptible de faire une demande d’indemnisation et prédire les évènements qui pourraient se déclencher et favoriser des sinistres.

De plus, l’IA favoriserait un traitement rapide et instantané de la prise en charge, de l’indemnisation et de la déclaration des sinistres. Cela réduirait la charge financière des compagnies d’assurance et stimulerait la satisfaction client et leur rétention. Un exemple concret est le cas de l’insurtech américaine Lemonade, qui aurait effectué le règlement de sinistre le plus rapide de l’histoire : en 3 secondes.

La combinaison de l’intelligence artificielle avec le volume de données dont disposent les assureurs pourrait également améliorer l’évaluation d’autres dommages à différents niveaux. Plus particulièrement, le montant d’indemnisation et le degré d’invalidité pour certains types de blessures ou à l’inverse, l’analyse des motifs de refus d’intervention dans le cadre d’assurance maladie ou invalidité pourrait être facilitée.

 

« L’IA favoriserait un traitement rapide et instantané de la prise en charge, de l’indemnisation et de la déclaration des sinistres. »

 

Détection de fraude

L’implémentation de l’IA pour détecter les fraudes dans l’assurance est une pratique de plus en plus courante dans l’industrie. En effet, un cas bien précis concerne l’analyse des demandes de remboursement grâce à des algorithmes sophistiqués en identifiant des fraudes potentielles.

Ces algorithmes peuvent examiner les tendances et les anomalies pour détecter les comportements frauduleux. Parmi ces outils utilisés, on retrouve l’analyse de texte qui identifie des informations contradictoires ou incohérentes dans les demandes de remboursement. L’analyse de l’image permet d’identifier des modifications apportées aux photos envoyées à l’assureur pour montrer les dégâts lors de l’ouverture d’un sinistre. Enfin, l’analyse des modèles comportementaux permet d’identifier les comportements inhabituels ou suspects d’un client et peut même déceler des comportements anormaux de la part des réseaux de distribution.

Cependant, l’utilisation de l’IA pour la détection de fraude en assurance pose des questions majeures telles que les données biaisées ou incomplètes qui peuvent entrainer des erreurs de détection, ou encore la question de la confidentialité et la protection des données du client. Ces problèmes sont toujours à l’étude dans le monde académique et des améliorations voient le jour.

 

Ses limites pour le secteur et la profession

Malgré la liste, non-exhaustive, des avantages explicités ci-dessus, l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le secteur suscite des peurs et entraine des risques dont il faut avoir conscience et pour lesquels il faut être préparé.

Inquiétudes concernant la conformité et l’éthique

L’utilisation de technologies génératives soulève notamment des questions de conformité et d’éthique, car elles sont basées, pour certaines, sur des modèles probabilistes qui ne sont pas conçus pour respecter des politiques strictes. En outre, ces technologies accumulent des données pour se raffiner continuellement, ce qui rend difficile la suppression des données et des informations de leur base de connaissances.

 

« Il est nécessaire de prendre le temps de comprendre ces systèmes, très souvent décrits comme des boîtes noires. D’ailleurs, les ouvrir est possible, mais cela demande les bonnes compétences spécifiques. »

 

De plus, étant donné que ces technologies prédisent des réponses pertinentes en fonction de l’observation et de la reproduction de ce sur quoi elles ont été formées, elles peuvent être biaisées, ce qui peut être difficile et coûteux à corriger pour l’utilisateur qui n’est pas prêt à gérer ce biais. En effet, afin de détecter ces biais, il serait nécessaire d’effectuer des tests pour repérer ces défauts dans l’ensemble des données.

Cependant, l’utilisation de l’IA et ses conséquences sont sujettes au programmeur ou à l’utilisateur derrière cette technologie, qui peut également être biaisé. Dès lors, il est nécessaire de prendre le temps de comprendre ces systèmes, très souvent décrits comme des boîtes noires. D’ailleurs, les ouvrir est possible, mais cela demande les bonnes compétences spécifiques.

 

L’intuition actuarielle

Concernant l’intuition actuarielle, l’intelligence artificielle ne pourra pas faire office de substitut pour l’ensemble des risques impactant le marché.  Il existe notamment des risques spéciaux (tremblements de terre, risques politiques, etc.) pour lesquels peu de données historiques existent et pour lesquels l’expertise de l’actuaire sera toujours nécessaire. Dans ce cas de figure, évaluer le risque ne dépend pas seulement de l’estimation des pertes finales, mais d’autres facteurs, tels que le rachat de réassurance ou encore les exigences de solvabilité de l’entreprise, que l’IA ne peut pas prendre en compte à ce stade.

Cependant, l’IA peut dans certains cas fournir de nouvelles perspectives afin de guider les actuaires à prendre de bonnes décisions. La combinaison de l’IA et l’intuition est alors clé.

 

L’interprétation des résultats

Au-delà de ces risques spéciaux, l’interprétation des résultats générés par les modèles de Deep Learning et Machine Learning nécessitent une réflexion différente qui implique une connaissance du business, que seul un actuaire qui connait l’activité peut avoir. En effet, les actuaires ont le pouvoir de contextualiser les résultats, expliquer ce qu’ils signifient en établissant un lien avec les activités de l’entreprise et comment ces résultats alimentent d’autres résultats.

 

L’adaptation du secteur au développement de l’intelligence artificielle

L’intelligence artificielle et ses nombreux développements ne sont pas inconnus au marché. En effet, les insurtechs, depuis leur apparition dans le milieu des années 2010, sont des pionnières dans l’utilisation de cette dernière. Depuis ces dernières années, les insurtechs se font de plus en plus reconnaitre dans le secteur car elles sont prêtes à changer les méthodes traditionnelles en adoptant l’IA. Capgemini distingue en particulier trois types d’insurtech sur le marché : les « full carriers », qui développent de nouveaux produits d’assurance innovants et les distribuent (Alan, Luko, Qover), les distributeurs et les « enablers » tel qu’Akur8, qui fournissent des solutions technologiques aux compagnies d’assurance traditionnelles. Les assureurs évolueront avec cet environnement changeant en travaillant plus étroitement avec  ces insurtechs dans le cadre d’un écosystème plus large et en remplissant de nouveaux rôles au sein de celui-ci en tant que directeur et fournisseur de produits d’assurance « actifs ».

En matière de règlementation européenne, l’Union Européenne est actuellement en discussion pour le projet d’une réglementation intitulée AI Act, qui serait d’application d’ici 2025. En effet, la loi prévoit une exigence initiale pour la documentation et l’évaluation des applications de l’intelligence artificielle, notamment dans le cas de l’assurance vie et l’assurance maladie qui sont définies par l’UE comme des cas à haut risque. Cependant, l’entrée en vigueur de cette loi aura un impact pour les actuaires et leurs tâches. À l’avenir, lors de la sélection de modèles statistiques pour le calcul des risques de souscription, la classification selon la loi sur l’IA devra également être prise en compte et documentée.

De manière générale, l’arrivée de l’IA entraine une transformation du métier d’actuaire et une évolution vers des processus hybrides. S’intéresser aux nouvelles technologies et aux nouveaux langages (R, Python) sont des compétences de plus en plus recherchées dans la profession et ce n’est pas étonnant car les actuaires auront toujours un rôle clé dans l’analyse des données et leur interprétation, tout cela dans un environnement soumis à des contraintes réglementaires strictes. Les actuaires auront un autre rôle clé dans la persuasion de la direction, de la pertinence des modèles utilisés et des résultats produits. Cette évolution exigera également une collaboration plus accrue entre les profils d’actuaires classiques et les profils orientés vers la data science.

 

« L’arrivée de l’IA entraine une transformation du métier d’actuaire et une évolution vers des processus hybrides. »

 

La crainte de voir une diminution de la demande de profils actuariels n’est donc pas à l’ordre du jour. Les actuaires seront toujours cruciaux dans le développement de l’IA au sein des compagnies d’assurance. Ils seront indispensables dans l’évaluation des risques, en utilisant des modèles statistiques pour éclairer le développement de l’IA, la validation des modèles, en évaluant l’équité et la précision des algorithmes d’IA, la conformité des systèmes IA à la réglementation et à son utilisation de manière éthique. Au vu de l’évolution de l’IA, les actuaires pourront se développer en adoptant les bases de la data science, une compétence de plus en plus recherchée par les compagnies d’assurance.

 

Conclusion

Comme nous l’avons vu, l’implémentation de l’intelligence artificielle et de ses spécificités peut être un avantage considérable dans un marché où la concurrence est accrue. De manière générale, elle permet de réduire les coûts de l’assureur dans plusieurs domaines et être plus compétitif sur le marché en proposant des produits alignés avec les besoins des assurés.

L’intelligence artificielle est en train de révolutionner l’actuariat. Par conséquent, s’adapter à ces technologies et avoir une bonne compréhension de son impact dans l’amélioration de la profession est un défi auquel les actuaires font face et devront continuer à faire face dans les mois à venir.

Enfin, un avantage auquel on ne penserait pas quand on parle d’IA est qu’elle permettra de se focaliser davantage sur l’aspect humain. Grâce à l’automatisation des éléments de calcul ou d’administration, les actuaires auront davantage de temps à consacrer à des activités à plus forte valeur ajoutée, auxquelles l’intelligence artificielle apportera de nouvelles informations utiles aux actuaires pour prendre des décisions.

 
Sources: