Les enjeux de la Finance Durable et ses implications en assurance

Dans un précédent article nous avons mis en évidence les impacts du changement climatique dans le milieu de l’assurance. Dans ce contexte, les principes de durabilité sont souvent évoqués et une finance durable devient un impératif.

Dans ce nouvel article, nous allons donc adresser le concept de la finance durable en mettant en exergue les évolutions de la réglementation française et européenne dans le milieu de l’assurance, mais aussi ses limites. Cette approche des investissements vise à prendre en considération des critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) dans leur gestion et leur sélection. Alors que le concept de finance durable apparait dans les années 1960, ce n’est qu’en 2006, qu’une initiative de l’ONU mène à la définition des Principes pour l’Investissement Responsable (PRI) afin de lui fournir une nomenclature.

Très vite, des labels voient le jour afin de distinguer la finance durable de la finance traditionnelle, englobant ainsi la finance responsable, la finance verte et la finance solidaire. Dans le but de combiner performance financière et développement durable, sont alors mis en place en France, et plus largement en Europe, des labels permettant de qualifier ces investissements répondant à des critères financiers (rentabilité, le prix de l’action, les perspectives de croissance, etc.) mais surtout à des critères extra-financiers qui reflètent les implications sociales, environnementales et sociétales de l’activité d’une entreprise (ESG).

Les labels : fers de lance de la finance durable

Le marché européen compte, en 2022, 9 labels de finance durable. Il existe aujourd’hui en France, deux labels créés en 2015 permettant de certifier les fonds d’investissements socialement responsables : le Label ISR par le ministère de l’Économie et des Finances et le Label Greenfin par le ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer. Depuis, de ces deux labels, le label ISR est devenu le fer de lance de la finance durable. Il repose sur 4 critères liés à l’environnement, l’impact social, la gouvernance et enfin, le respect des droits humains.

D’après Novethic, l’accélérateur de transformation durable du Groupe Caisse des Dépôts, depuis 2016, ce label a été obtenu par 1 354 fonds représentant 783 milliards d’euros d’encours à fin juillet 2023. À titre comparatif, le label belge « Towards Sustainability » réputé pour être plus restrictif, a été donné à 771 fonds, pour 539 milliards d’euros d’encours. Le label allemand FNG-Siegel a été octroyé 291 fois. Le second label français Greenfin, n’incluant que des critères écologiques, l’a été seulement 120 fois. Au total, en Europe, 2 000 fonds durables ont été octroyés pour plus de 1 307 milliards d’euros d’encours. Le label ISR est ainsi le plus octroyé en Europe.

Côté français, après un rapport de l’Inspection générale des Finances (IGF), saisie par Bercy pour une mission d’évaluation du label, il a été mentionné qu’une évolution radicale était nécessaire. En novembre 2023, Bercy publie donc son nouveau référentiel. Cette réforme tant attendue donne la priorité à la lutte contre le réchauffement climatique. Les entreprises utilisant la production de charbon ou d’hydrocarbures non conventionnels représentant plus de 5 % de leur chiffre d’affaires sont exclues.

Les entreprises lançant des projets d’exploration, d’exploitation ou de raffinage d’hydrocarbures le sont également. De plus, les fonds demandeurs au label ISR devront présenter un plan de transition aligné avec l’Accord de Paris. Une nouvelle exigence de décarbonation des fonds candidats au label sera mise en place progressivement. Cette réforme entrera en vigueur le 1er mars 2024, et les sociétés ayant déjà obtenu le label bénéficieront d’une période de transition d’un an afin de leur permettre de s’adapter aux nouvelles exigences. Les nouvelles labellisations sont ainsi suspendues jusqu’au 1er mars 2024.

Les évolutions de la place financière française vers plus de durabilité.

Le FIR, le Forum pour l’Investissement Responsable, une association de Loi 1901 fondée en 2001 a réalisé une étude en 2023 sur « Les Français et la finance responsable ». D’après cette enquête menée auprès de 1000 personnes par l’IFOP, l’institut d’études d’opinion, pour le compte de la FIR, les Français montrent une adhésion notable à l’Investissement responsable : 57% des sondés accordent une place importante aux impacts environnementaux et sociaux dans leurs décisions de placement.

Face à une opinion de plus en plus encline à une économie plus durable et un besoin d’investir de façon plus responsable, un nouvel indice a été créé par Euronext en 2021 : le CAC40 ESG. Reposant sur le Label ISR, il regroupe les 40 entreprises ayant les meilleures pratiques ESG.  « Le lancement de l’indice CAC40 ESG constitue une étape importante dans l’accélération de la transition vers une économie durable », d’après Stéphane Boujnah, patron d’Euronext.

Cet indice repose sur un principe d’exclusion du label ISR, qui est d’exclure des activités jugées allant à l’encontre des critères ESG, comme des activités reposant sur le charbon, les armes controversées et le tabac. Il intègre aussi les principes de base énoncés par les organisations des Nations Unies sur les normes internationales du travail par exemple, ou encore la lutte contre la corruption.

Les règlementations impactant l’assurance

De multiples incitations et obligations réglementaires, viennent contraindre des acteurs de l’économie et notamment les assureurs à se mettre au pas de la finance durable.

En conséquence à la COP21, les assurances françaises signent en 2019, la Déclaration de la Place financière de Paris où elles s’engagent à contribuer aux objectifs de l’Accord de Paris.

En Europe, Le Pacte vert fait son apparition en 2019 avec pour objectif la neutralité carbone en 2050 et rehausser les objectifs de baisse des émissions carbone à 2030 de 40 % à 50 % voire 55%. L’Union Européenne va encore plus loin et lance la taxonomie européenne en 2020 désignant une classification des activités économiques ayant un effet favorable sur l’environnement.  La Commission européenne a alors chargé un groupe d’experts, le TEG (Technical Expert Group), de fixer des critères de sélection d’activité comprenant l’atténuation du changement climatique, le contrôle de la pollution, la transition vers une économie circulaire, etc.

Depuis 2018, la directive européenne NFRD (Non-Financial Reporting Directive), sur la publication non financière, oblige 11 000 entreprises à publier un rapport extra financier, avec des informations sur l’incidence des questions de durabilité sur leurs résultats, leur situation et évolution, mais aussi l’incidence de leurs activités sur la population et l’environnement. La NFRD permet de suivre mais aussi de voir quelles sont les performances ESG des entreprises.

À partir de 2024, la CSRD prend la main et remplace la NFRD. Cette nouvelle directive élargit le champ d’application de la NFRD mais va aussi être plus exigeante. La Corporate Sustainability Reporting Directive vise à une harmonisation des reportings de durabilité des entreprises, mais aussi à l’amélioration de la disponibilité et la qualité des données qui sont publiées. Les sociétés devront publier des informations sur les risques, opportunités et impacts matériels en lien avec les questions sociales, environnementales et de gouvernance selon la double matérialité.

La double matérialité prend en compte les impacts des normes ESG sur la performance des sociétés mais aussi leurs impacts sur l’environnement. La CSRD couvrira progressivement elle, 50 000 sociétés. Les différents rapports exigés par certaines règlementations permettent une meilleure transparence sur les diverses actions menées par les entreprises en termes d’ESG.

En France, La loi Pacte de 2019 (plan d’action pour la croissance et la transformation de l’entreprise) oblige les entreprises à référencer systématiquement les fonds labellisés ISR dans les unités de compte d’assurance-vie et dans les plans d’épargne retraite.

Depuis 2022, la Loi climat impose aux assureurs de détailler leur approche en matière d’investissement responsable (ESG) dans un rapport. La mesure de l’impact des investissements sur la biodiversité sera obligatoire à partir de cette année. L’article 29 de la loi énergie Climat oblige les assureurs à publier un rapport dédié aux informations relatives à l’alignement des portefeuilles avec une trajectoire compatible avec l’Accord de Paris.

La place de l’assurance et l’investissement durable : assureurs, investisseurs de premier plan.

D’après l’enquête IFOP pour l’investissement responsable en 2023, six Français sur dix accordent une place importante dans leurs décisions de placement aux impacts environnementaux. Il est ainsi essentiel pour les assureurs français de diriger leurs épargnants vers des investissements responsables.

Consciente des enjeux de durabilité de la société et de l’économie, la fédération France Assureurs a réalisé une étude sur l’assurance et la finance durable basée sur un panel de 24 groupes d’assurances représentant 91% du montant total des actifs des entreprises d’assurance françaises à fin 2022. D’après cette étude, « Les assureurs sont des acteurs de premier plan dans la lutte contre le dérèglement climatique».

« Les assureurs sont des acteurs de premier plan dans la lutte contre le dérèglement climatique».

 

En effet, ils sont des financeurs majeurs de l’économie et des investisseurs de long terme. À la fin 2021, leurs investissements dans les entreprises françaises s’élevaient à 1524 milliards d’euros. Ils sont aussi des acteurs majeurs du financement de l’économie bas carbone avec 141 milliards d’euros de placements verts. Ils réduisent aussi progressivement leurs investissements dans le secteur du charbon thermique. D’après le rapport sur l’assurance et la finance durable de France Assureurs, à fin 2022, 7,8% des actifs des assureurs correspondent à des placements verts, soit 17% par rapport à fin 2021.

Les assureurs se sont organisés et ont lancé des initiatives afin de relancer l’économie notamment suite à la crise de la Covid. Les assureurs français ont également rejoint l’Observatoire de la finance durable en 2020, en s’associant avec les autres acteurs financiers de la Place de Paris, afin de montrer la transformation transparente et progressive du secteur vers une finance durable. En 2020, avec la Caisse des Dépôts, ils lancent le plan relance Durable France, afin d’aider les entreprises des secteurs particulièrement touchés par la crise de la Covid. Les assureurs ont investi 2,5 milliards d’euros dans ce programme, basé sur une sélection de critères extra financiers. Un peu plus tard, en 2021, un dispositif est mis en place afin de soutenir la croissance des entreprises engagées dans la transition écologique via le dispositif «Obligations Relance».

Après la COP28, le Crédit Agricole s’est engagé à ne plus financer de nouveaux projets d’extraction d’énergie fossiles, mais aussi à réduire de 75% le CO2 émis par les projets qui sont financés sur le pétrole et le gaz d’ici à 2030. Dans son rapport Climat & Biodiversité 2023, Axa publie des objectifs pour piloter la décarbonation de certaine de ses activités. Axa a ainsi annoncé sa volonté d’augmenter son activité d’assurance dans le domaine des énergies renouvelables, de la transition écologique, et développer des solutions durables pour les sinistres auto d’ici 2026.

CNP Assurances a dépassé les 2 des 3 objectifs que le groupe s’était fixé en 2015 pour 2024. CNP Assurances a par exemple diminué de 48,36% l’empreinte carbone du portefeuille actions obligations d’entreprise et infrastructure entre 2019 et 2022. Generali France, souhaite être le « champion » de la durabilité. Entre 2019 et fin 2022 l’empreinte carbone du portefeuille de Generali France a diminué de 48 % (scope 1 et 2).

Les limites de la finance durable

Même si la réforme du label ISR est une avancée, pour certains spécialistes de la finance durable « Cela ne suffira pas à faire bouger les lignes », explique Olivia Blanchard, présidente des AFR (Acteurs de la Finance Responsable). Ces nouvelles orientations ne devraient pas avoir un grand impact sur le stock des fonds certifiés ISR, car l’Europe n’est pas une zone très exposée au charbon, gaz et pétrole non conventionnels. Reclaim Finance estime que « les fonds dotés du label ISR risquent de continuer à financer l’aggravation de la crise climatique ».

D’après l’ONG, ne pas prévoir l’exclusion des entreprises qui continuent de développer des projets allant à l’encontre et étant incompatibles avec les objectifs climatiques français et internationaux du label ISR est une erreur et c’est aussi son plus grand défaut. Les nouveaux champs pétroliers et gaziers par exemple ne peuvent mener au scénario de neutralité carbone à 2050 en suivant la trajectoire de 1,5°C.

L’approche positive best in class du label ISR ne permet pas une bonne notation. En effet, une note moyenne peut toujours être obtenue même si une mauvaise note sur l’un des piliers est donnée. Une autre note peut rattraper la donne. Donc l’élimination des valeurs ayant les moins bonnes notes ESG est alors insuffisante. Une nécessité d’utiliser un autre système de notation qui prendrait en compte tous les piliers en mettant en avant toutes les notes, qu’elles soient positives ou négatives, est nécessaire. De plus l’approche positive, qui n’exclue aucun secteur permet aux entreprises d’investir en partie dans des secteurs polluants.

D’autre part, de nombreuses études académiques sur le sujet, pointent le fait que les fournisseurs de données des notes ESG d’entreprises peuvent différer les uns des autres sur une même entreprise, ou encore qu’il y ait une existence de notes ESG flatteuses basées sur d’éventuelles annonces des entreprises plutôt que sur le vrai déploiement de leurs stratégies de transformation. La nouvelle directive européenne CSRD, venant remplacer la NFRD, vise ainsi à harmoniser le système de notation. Certains évoquent un greenwashing sur ces sujets de finance durable, qui ne seraient en réalité que de la poudre aux yeux.

D’après une étude réalisée par Opinionway pour l’AMF, 34% des Français ont une bonne image des placements durables. Globalement, les épargnants de moins de 35 ans sont les plus friands de placements responsables. Cependant, cet intérêt pour la finance durable est teinté par une opinion sceptique face aux engagements des gérants. 69% des personnes interrogées y voient un argument de communication plutôt que d’une réalité, et 58% estiment que les placements responsables ne le sont jamais totalement. D’après l’ACPR sur la publicité des assureurs, « il y a un risque d’exposition de la clientèle à des pratiques d’écoblanchiment contrevenant à l’obligation de [lui] délivrer une information claire, exacte et non trompeuse ». Une réelle question se pose sur la crédibilité de l’offre de finance durable. Les différentes réglementations et mesures appliquées concernent essentiellement le reporting.

La notion d’impact prend son sens dans ce contexte. La finance durable est une avancée mais ne peut être une finalité telle quelle ; l’impact des entreprises sur l’économie et le climat reste à voir. La qualité des rapports est importante, mais un impact mesurable des opérations menées est nécessaire pour constater du verdissement de l’économie. Le ministère des Finances donne ainsi la définition de la finance à impact, elle consiste en une stratégie d’investissement qui vise à accélérer la transformation juste et durable de l’économie réelle en apportant une preuve de ses effets bénéfiques.

D’après l’étude de France Assureurs sur l’assurance et la finance durable sur les chiffres clés 2022, 2 milliards d’euros ont été investis dans une stratégie d’investissement à impact par 13 acteurs de l’assurance. Acteur de grande échelle, les assureurs sont pionniers sur le marché de la finance à impact. Les dernières réglementations y sont favorables et poussent les assureurs à anticiper les changements mais aussi à mesurer leur impact. La finance à impact est alors vue comme l’avenir de la finance durable.

Bien des changements et évolutions sont visibles en finance, mais la finance dite « durable » est encore en « construction ». Face aux changements climatiques, une approche quantifiable est nécessaire.

Je vous remercie pour votre attention et n’hésitez pas à nous proposer d’autres sujets pertinents pour nos prochains articles.

 

Sources :

L’Argus de l’assurance, Investissement responsable : les assureurs, moteurs de la finance à impact
L’Argus de l’assurance, Assurance et développement durable : un chantier conséquent mais nécessaire

L’Argus de l’assurance, Fonds labellisés : un engouement européen pour l’investisssement responsable qui ne se dément pas

France Assureurs, Assurance et finance durable, chiffres clés 2021

France Assureurs, Assurance et finance durable, chiffres clés 2022

Novethic, Evaluation du marché européen des labels de finance verte et solidaire, septembre 2022

Vie-publique.fr, Taxonomie européenne : la classification des activités économiques vertes en six questions

AMF, Le reporting de durabilité CSRD : se préparer aux nouvelles obligations

AMF, Quelles stratégies d’investissement se cachent derrière l’ISR ?

AMF, Comprendre l’investissement socialement responsable (ISR)

Observatoire de la finance durable, Qu’est-ce que la finance durable ?

Les Echos, Opinion | Normes extra-financières : pour une double matérialité

Les Echos, CAC 40 ESG : le nouvel indice boursier qui rassemble 40 entreprises socialement responsables

Les Echos, Assurance-vie : nos contrats sont-ils vraiment plus responsables ?

Les Echos, Le challenge d’une assurance-vie responsable

Les Echos, La route encore longue de la finance durable

Les Echos, La Commission européenne dévoile son Pacte vert

Les Echos, La taxonomie, un dictionnaire européen pour définir les activités « vertes »

Les Echos, Les jeunes générations, moteur de l’investissement responsable en France

Les Echos, Les spécialistes de la finance durable critiquent les propositions de refonte du label ISR

IFOP, Les Français et la Finance Responsable – vague 5

IFOP, Les Français et la Finance Responsable – vague 6

Novethic, Plus de 2 000 fonds labellisés aux promesses confuses

Nations Unies, L’Accord de Paris

Franceinfo, Climat : après l’accord de la COP28, Crédit Agricole annonce la fin de ses financements pour les nouveaux projets d’extraction d’énergies fossiles

AXA, AXA annonce de nouveaux objectifs de décarbonation et publie son rapport Climat & Biodiversité 2023

CNP, Engagement pour le climat et la biodiversité

Generali, Rapport développement durable 2022